Ultra-transformés : un essai contrôlé montre des effets néfastes indépendants des calories
- oliviertoma
- 30 août
- 4 min de lecture
Quand l’assiette fabrique la santé (ou la fragilise)

Le caddie cliquette, les packs s’empilent, les codes-barres défilent. À 2 000 kilomètres de là, dans un hôpital universitaire de Copenhague, des jeunes hommes passent à la DEXA (DEXA ou DXA (Dual-Energy X-ray Absorptiometry), qui est une technique d’imagerie médicale permettant de mesurer la densité osseuse et la composition corporelle.) , donnent du sang et un échantillon de sperme. Même âge, même profil, même protocole. Une différence, une seule : pendant trois semaines, leur assiette aura été soit truffée d’ultra-transformés, soit composée d’aliments bruts et peu transformés. Les calories, elles, ont été égalisées au gramme près.
L’étude — un essai croisé 2 × 2 sur 43 hommes de 20 à 35 ans — pose une question très simple, presque brutale : le degré de transformation des aliments abîme-t-il la santé, indépendamment des calories ? Les chercheurs ont verrouillé le piège méthodologique : chaque participant a reçu successivement un régime ultra-transformé (≈ 77 % de NOVA 4) puis un régime peu transformé (≈ 66 % NOVA 1) (ou l’inverse), avec apports calibrés “adéquats” ou “en excès”, et une longue période de “wash-out” entre les deux.
(NOVA est une classification des aliments qui divise les aliments en quatre catégories en fonction de leur degré de transformation industrielle)
Le verdict tombe vite, en chiffres sobres, sans effets de manche. À calories égales, le régime ultra-transformé fait prendre 1,3 à 1,4 kg en 3 semaines, quasi exclusivement sous forme de masse grasse . Le profil lipidique se dégrade : ↑ cholestérol total et ↑ ratio LDL:HDL (bras calories “adéquates”). La pression artérielle diastolique monte (bras “excès calorique”). Du côté hormonal, la mécanique fine se dérègle : ↓ GDF-15 (une hormone impliquée dans l’équilibre énergétique), ↓ FSH (clé de la spermatogenèse) dans le bras “excès”, testostérone en baisse tendancielle dans le bras “adéquat”. La mobilité totale des spermatozoïdes recule, là encore de manière tendancielle. Trois semaines. Pas trois ans.
Ce que cela change si l’on veut vraiment faire de la prévention
On pourrait en rester au constat. On peut aussi en tirer des conséquences pratiques, tout de suite, là où les choix alimentaires se forment et s’achètent.
1) Les écoles hôtelières, futurs centres de prévention
C’est sur leurs plans de travail que se joue la santé publique de demain. Il faut généraliser des modules certifiants sur : NOVA & Nutri-Score, réduction des UPF ("Ultra-Processed Foods") , exposition aux contaminants (phtalates, PFAS), techniques culinaires protectrices (fibres, qualité des lipides, index glycémique), menu engineering bas-UPF.Faisons-en des laboratoires vivants : cartes “0-UPF”, menus mesurés, suivis à 3–6 semaines de convives volontaires (poids, PA, lipides).
En back-office, des achats responsables : cahiers des charges anti-migrants chimiques, traçabilité des matrices. ARS et Assurance Maladie peuvent financer ces stages terrains, notamment en cuisines scolaires, hospitalières, Ehpad.
2) La vraie disruption : la grande distribution prescrit… et incite
La pédagogie passive a atteint ses limites. Embauchons des nutritionnistes en magasin : analyse volontaire du caddie (ticket de caisse + appli), “prescription alimentaire” personnalisée (baisser le % d’UPF, relever fibres et oméga-3, améliorer le ratio LDL:HDL).Puis jouons la tarification incitative : réductions progressives conditionnées au respect de la prescription lors des passages suivants. On peut imaginer des parcours “fertilité masculine” (moins d’UPF, plus d’antioxydants, poissons gras, noix, légumineuses) et des parcours cardio-métaboliques (fibres, index glycémique, huiles riches en mono-/poly-insaturés).
La Sécu y gagne : en s’appuyant sur les dispositifs d’expérimentation (type Article 51), elle cofinance ces remises si et seulement si les indicateurs cliniques s’améliorent (poids, PA, LDL:HDL). On rémunère la preuve, pas l’intention.
3) Rendre le Nutri-Score obligatoire… et afficher NOVA/UPF en face avant
L’essai danois rappelle que l’information doit être visible, comparable, opposable. Il faut imposer le Nutri-Score sur tous les produits (y compris MDD (Marque De Distributeur) et livraison), ajouter un pictogramme UPF/NOVA simple et lisible, et resserrer les normes d’emballage pour les catégories à risque (phtalates, etc.). Tant que l’acheteur ignore le degré de transformation, il achète “à l’aveugle”.
4) Le levier public : achats et restauration collective
Les cantines scolaires, universitaires, hospitalières peuvent tirer le marché. Fixons des seuils maximaux d’UPF dans les menus, intégrons la traçabilité NOVA dans les marchés, formons acheteurs et équipes cuisine. Trois semaines suffisent pour voir un effet : une année scolaire, c’est une opportunité de santé massive.
5) Mesurer pour transformer
Passons à l’échelle via des essais territoriaux (6–12 mois) associant grandes surfaces + écoles hôtelières + collectivités. Mesurons achats (part d’UPF, panier moyen), biomarqueurs simples (PA, IMC, LDL:HDL), indicateurs de fertilité lorsque c’est pertinent (population 20–40 ans, centres d’andrologie). Ce que l’essai montre en 21 jours, un territoire peut le démontrer en 6 mois — et l’inscrire dans la durée.
Ce que raconte, au fond, l’essai danois
Il raconte une évidence que l’on n’osait pas objectiver : toutes les calories ne se valent pas quand la matrice change. Il raconte aussi que l’environnement chimique de l’aliment — de sa formulation à son emballage — entre dans notre sang et peut infléchir nos hormones. Il rappelle enfin que des effets rapides sont possibles : trois semaines d’une cuisine simple, travaillée, peu transformée, peuvent améliorer des marqueurs clés.
Rien ici n’appelle la culpabilisation. Tout appelle l’organisation : des cuisines qui savent, des rayons qui accompagnent, des prix qui encouragent, des étiquettes qui disent la vérité, des données qui prouvent. Les écoles hôtelières et les grandes surfaces n’ont jamais été pensées comme des acteurs de santé. L’époque exige de les y installer.
Référence
Effect of ultra-processed food consumption on male reproductive and metabolic health, Cell Metabolism, “In Press, Corrected Proof”, 28 août 2025 (essai randomisé en cross-over, 43 hommes, 3 semaines par régime, calories égalisées). Open access sous licence Creative Commons.



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